










La région du Sahel, épicentre d'une crise sécuritaire complexe depuis plus d'une décennie, assiste à une reconfiguration stratégique majeure. Face à l'évolution des menaces posées par les groupes armés et à un sentiment de lassitude vis-à-vis des interventions étrangères, les États de l'Alliance des États du Sahel (AES) - Mali, Burkina Faso, Niger - redéfinissent leur doctrine de sécurité. Cette nouvelle approche, axée sur la souveraineté nationale et des partenariats diversifiés, marque une rupture assumée avec les schémas du passé et soulève autant d'espoirs que d'interrogations.

Le constat d'échec des approches passées Pendant des années, la réponse sécuritaire au Sahel a reposé sur une forte présence militaire internationale, notamment française avec l'opération Barkhane, et onusienne avec la MINUSMA. Si ces interventions ont permis d'éviter l'effondrement de certains États, elles n'ont pas réussi à éradiquer la menace djihadiste, qui s'est au contraire métastasée. La critique principale portait sur une approche jugée trop axée sur le militaire, au détriment du développement, de la gouvernance et du dialogue avec les communautés locales. Les régimes militaires arrivés au pouvoir à Bamako, Ouagadougou et Niamey ont capitalisé sur ce sentiment d'échec pour justifier un changement de cap radical.
Les piliers de la nouvelle doctrine "panafricaine" La nouvelle doctrine sécuritaire sahélienne s'articule autour de plusieurs axes fondamentaux, présentés comme une réappropriation du destin de la région par ses propres acteurs.
Priorité à la coopération Sud-Sud Le premier pilier est le renforcement de la coopération militaire entre les pays de l'AES. La création de cette alliance a pour but de mutualiser les moyens de renseignement, les forces aériennes et les troupes au sol. Des opérations conjointes sont désormais menées de manière plus régulière le long des frontières communes, avec une meilleure connaissance du terrain. L'idée est de créer un front uni, capable de réagir rapidement sans dépendre d'un commandement extérieur. Cette stratégie s'accompagne d'une diversification des partenariats, notamment avec la Russie, la Turquie ou encore l'Iran, pour l'acquisition de matériel militaire et la formation.
Le dialogue, une arme controversée Un autre aspect, bien que mené avec discrétion, est l'ouverture de canaux de dialogue avec certains groupes armés. Conscients que la solution ne peut être uniquement militaire, les autorités explorent des voies de négociation locales pour obtenir des cessez-le-feu ou la démobilisation de combattants. Cette approche, souvent critiquée par les partenaires occidentaux, est vue par les régimes sahéliens comme un outil pragmatique pour réduire la violence et isoler les factions les plus radicales, affiliées à Al-Qaïda ou à l'État Islamique.
Les défis de la mise en œuvre Cette nouvelle orientation n'est pas sans défis. Le principal reste la question du financement. Le départ des forces internationales a également entraîné une réduction de l'aide financière et logistique. Les armées nationales, bien que plus aguerries, restent sous-équipées face à un ennemi mobile et disséminé. La coordination entre les trois armées de l'AES est un autre enjeu majeur, nécessitant une interopérabilité technique et une confiance politique sans faille.
Enfin, la crise humanitaire continue de s'aggraver, avec des millions de déplacés internes, ce qui fragilise les efforts de stabilisation.
La nouvelle doctrine sécuritaire au Sahel est une tentative audacieuse de reprendre en main une situation critique. En misant sur la souveraineté, la coopération régionale et une approche plus pragmatique, les États de l'AES espèrent inverser la tendance. Le succès de cette stratégie dépendra de leur capacité à surmonter les défis financiers et logistiques, à maintenir leur unité et, surtout, à prouver à leurs populations qu'elle peut apporter une paix durable là où les modèles précédents ont échoué.