










Dublin et Bruxelles, 2025. L'ère de l'autorégulation pour les géants du numérique en Europe est bel et bien révolue. Le Digital Services Act (DSA), le règlement ambitieux de l'UE visant à responsabiliser les grandes plateformes en ligne, est désormais pleinement opérationnel. Et les premières batailles sont engagées. La Commission européenne, dans son nouveau rôle de gendarme du numérique, a lancé plusieurs enquêtes et procédures d'infraction contre les plus grands acteurs du secteur. En réponse, une contre-offensive juridique massive s'organise, transformant les cours de justice européennes en arènes où se joue l'avenir de la gouvernance d'Internet.
Les premières enquêtes de la Commission, menées par les équipes du commissaire Thierry Breton, se concentrent sur les "obligations systémiques" qui pèsent sur les "Très Grandes Plateformes en Ligne" (celles comptant plus de 45 millions d'utilisateurs actifs dans l'UE).
Un premier front s'est ouvert sur l'efficacité des systèmes de modération de contenu. Bruxelles soupçonne plusieurs plateformes de ne pas allouer les ressources humaines et technologiques suffisantes pour retirer rapidement les contenus haineux, les discours pro-terroristes ou les produits de contrefaçon, notamment dans les langues autres que l'anglais. Des audits indépendants, rendus obligatoires par le DSA, ont révélé des failles importantes, poussant la Commission à demander des comptes. "La loi est claire : ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Nous vérifions maintenant si les actes suivent les paroles", a déclaré un porte-parole de la Commission.
Le deuxième front, plus complexe, est celui de la transparence algorithmique. Le DSA exige que les plateformes offrent à leurs utilisateurs une option de système de recommandation non basée sur le profilage. Or, plusieurs réseaux sociaux et places de marché sont accusés de rendre cette option difficile d'accès ou moins fonctionnelle, afin de préserver leur modèle économique basé sur l'engagement à tout prix. La Commission enquête pour savoir si ces pratiques constituent une violation délibérée du règlement.
Face à ces offensives, les GAFAM et autres géants de la tech ne restent pas inactifs. Leurs armées d'avocats, basées principalement en Irlande et au Luxembourg, contestent la légalité et l'interprétation même du DSA devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Leurs arguments sont multiples : atteinte à la liberté d'expression, obligations trop vagues et disproportionnées, ou encore contestation de leur désignation même comme "Très Grande Plateforme". Cette stratégie vise à gagner du temps, à créer une incertitude juridique et à épuiser les ressources du régulateur.
Conclusion L'année 2025 marque un tournant dans la régulation du numérique en Europe. Le DSA n'est plus un texte de loi, mais un champ de bataille actif. L'issue de ces premières confrontations juridiques sera déterminante. Si la Commission européenne et la CJUE tiennent bon, elles créeront un précédent mondial, forçant un changement en profondeur des modèles d'affaires des plateformes. Si les géants de la tech parviennent à vider le règlement de sa substance par des recours juridiques incessants, l'ambition européenne de créer un espace numérique plus sûr et plus juste pourrait n'être qu'un vœu pieux. L'Europe joue sa souveraineté numérique dans les prétoires.