










Francfort, 2025. La phase d'expérimentation de l'euro numérique, menée par la Banque Centrale Européenne (BCE) depuis deux ans, touche à sa fin. Les résultats des projets pilotes, conduits dans plusieurs États membres, sont en cours d'analyse et dessinent les contours de ce qui pourrait être la plus grande révolution monétaire sur le continent depuis le passage à l'euro. Si la BCE vante les mérites d'une monnaie numérique publique – sécurisée, gratuite et universellement accessible –, les premières réactions des associations de consommateurs et des citoyens soulèvent des questions fondamentales sur la protection de la vie privée, l'inclusion financière et l'avenir du secteur bancaire.
Les tests ont porté sur divers scénarios. En Espagne, un pilote a exploré les paiements de personne à personne (P2P) via une application mobile dédiée, démontrant une quasi-instantanéité des transactions, même hors ligne grâce à la technologie Bluetooth. En France, l'accent a été mis sur les paiements en magasin, avec des terminaux adaptés permettant de payer directement depuis son portefeuille numérique sans passer par un intermédiaire comme Visa ou Mastercard.
Les promoteurs du projet, au sein de la BCE, soulignent que l'euro numérique serait une réponse stratégique à la montée en puissance des cryptomonnaies privées (stablecoins) et aux initiatives de monnaies numériques d'autres banques centrales, comme le yuan numérique chinois. Il garantirait la souveraineté monétaire de la zone euro à l'ère digitale.
Malgré ces avantages potentiels, la consultation publique menée en parallèle des tests a révélé de profondes inquiétudes au sein de la population.
La préoccupation numéro un est la confidentialité des transactions. L'argent liquide garantit un anonymat total, une caractéristique que l'euro numérique, par sa nature même, ne peut répliquer parfaitement. La BCE propose un modèle où les petites transactions pourraient bénéficier d'un niveau de confidentialité élevé, mais les plus grosses seraient traçables pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. "Où se situe la limite entre sécurité et surveillance ? Qui décidera qu'une transaction est 'trop grosse' ? C'est une porte ouverte à une surveillance financière généralisée", s'inquiète une association de défense des libertés numériques allemande.
Le secteur bancaire observe le projet avec une anxiété palpable. Si les citoyens peuvent détenir leur argent directement auprès de la BCE dans un portefeuille numérique, quel sera le rôle des banques commerciales ? Un transfert massif des dépôts des banques vers l'euro numérique pourrait déstabiliser le système financier et réduire la capacité des banques à octroyer des crédits à l'économie. La BCE se veut rassurante, proposant de plafonner le montant qu'un individu pourrait détenir en euros numériques (par exemple, 3 000 €), mais cela n'apaise pas toutes les craintes.
Conclusion La BCE se trouve à un carrefour. La technologie de l'euro numérique est prête, mais son acceptation sociale est loin d'être acquise. Le défi pour les institutions européennes sera de prouver qu'il est possible de concevoir une monnaie numérique qui soit à la fois innovante, souveraine et respectueuse des principes démocratiques fondamentaux comme le droit à la vie privée. Avant toute décision de déploiement, un débat public large et transparent sera nécessaire pour répondre aux doutes légitimes des citoyens. Sans leur confiance, l'euro numérique pourrait bien rester un projet technocratique mort-né.