Athènes, 2025. Dominant la mer Égée, le port du Pirée est une métamorphose spectaculaire. Autrefois congestionné et sous-performant, il est aujourd'hui l'un des ports à conteneurs les plus importants de la Méditerranée et la porte d'entrée principale des "Nouvelles routes de la soie" chinoises en Europe. L'investissement massif de l'entreprise chinoise COSCO Shipping a transformé Le Pirée en un hub logistique ultra-moderne. Mais ce succès économique a un revers : il pose des questions de plus en plus pressantes sur la souveraineté européenne et la dépendance stratégique du continent vis-à-vis de Pékin.
Depuis que COSCO a pris le contrôle majoritaire des opérations en 2016, la croissance du Pirée a été exponentielle. Grâce à des investissements dans de nouvelles grues géantes, des terminaux automatisés et l'extension des quais, le trafic de conteneurs a plus que triplé. Le port est devenu une plaque tournante cruciale qui relie l'Asie à l'Europe centrale et orientale via un réseau ferroviaire performant qui remonte à travers les Balkans.
Pour la Grèce, qui sortait à peine d'une décennie de crise de la dette, cet investissement a été une bouffée d'oxygène. Il a créé des milliers d'emplois, directs et indirects, et a considérablement amélioré la balance commerciale du pays. "D'un point de vue purement commercial, le partenariat avec COSCO est une réussite totale. Le Pirée est redevenu un port de classe mondiale", admet un fonctionnaire du ministère grec de la Marine marchande.
Cependant, à Bruxelles et dans d'autres capitales européennes, le ton a changé. La prise de conscience de la rivalité systémique avec la Chine a jeté une lumière crue sur les implications de ce contrôle étranger sur une infrastructure critique.
Le Pirée n'est pas un cas isolé. La Chine a investi dans plus d'une douzaine de ports en Europe, de Valence en Espagne à Zeebrugge en Belgique. Les stratèges européens craignent la constitution d'un "collier de perles", un réseau d'infrastructures portuaires contrôlées par Pékin qui pourrait être utilisé à des fins politiques ou même militaires en cas de crise. Le fait que Le Pirée soit également une base logistique importante pour l'OTAN en Méditerranée orientale ajoute une couche de complexité et de préoccupation pour les planificateurs militaires de l'Alliance.
Des critiques émergent également sur les conditions d'exploitation du port. Des syndicats européens accusent COSCO de pratiquer une forme de dumping social, avec des conditions de travail plus dures et des salaires moins élevés que dans d'autres grands ports européens comme Rotterdam ou Hambourg. Cette situation crée une concurrence jugée déloyale qui tire les standards sociaux vers le bas. L'UE, via ses nouveaux outils de filtrage des investissements étrangers, surveille désormais de très près toute nouvelle tentative d'acquisition chinoise dans des secteurs stratégiques.
Conclusion Le port du Pirée est le symbole parfait de l'ambivalence européenne face à la Chine. Il incarne à la fois les bénéfices tangibles de la coopération économique et les risques géopolitiques d'une interdépendance mal maîtrisée. Alors que l'UE cherche à renforcer son "autonomie stratégique", la gestion de ses infrastructures critiques devient une priorité absolue. L'avenir du Pirée sera un test pour la capacité de l'Europe à définir et à défendre ses intérêts stratégiques, même lorsque cela implique de remettre en question des partenariats économiques autrefois célébrés.









