Francfort et Paris, 2025. La finance européenne parle un nouveau langage, celui de la "taxonomie verte". Ce règlement, complexe mais crucial, est le pilier de la stratégie de l'UE pour orienter des milliers de milliards d'euros de capitaux privés vers des activités durables et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. En obligeant des milliers d'entreprises et d'investisseurs à publier la part "verte" de leurs activités, la taxonomie est conçue pour être le "standard or" mondial de la finance durable. Pourtant, deux ans après son entrée en application complète, l'outil reste au cœur de vives controverses politiques et de débats techniques acharnés.
L'objectif de la taxonomie est simple en théorie : créer un système de classification scientifique et transparent pour définir ce qu'est une activité économique "durable". Pour être considéré comme "aligné sur la taxonomie", un investissement doit contribuer de manière substantielle à l'un des six objectifs environnementaux de l'UE (comme l'atténuation du changement climatique) sans nuire de manière significative aux cinq autres (comme la protection de la biodiversité).
Cet outil a déjà un impact majeur. Les gestionnaires d'actifs lancent des fonds "Article 9" (les plus verts selon la réglementation SFDR) qui investissent spécifiquement dans des entreprises alignées. Les banques commencent à offrir des prêts à des taux plus avantageux pour des projets conformes. "La taxonomie a mis fin au flou artistique du greenwashing. Nous avons enfin des critères clairs et comparables", se félicite un analyste financier spécialisé à La Défense.
La crédibilité scientifique de la taxonomie a cependant été mise à mal par des décisions éminemment politiques. La plus controversée a été l'inclusion, sous certaines conditions, de l'énergie nucléaire et du gaz naturel dans la liste des activités de transition pouvant être étiquetées comme durables.
Cette décision, fruit d'un intense lobbying et d'un compromis politique entre la France (pro-nucléaire) et l'Allemagne (qui voyait le gaz comme indispensable pour sortir du charbon), a provoqué une levée de boucliers. Des ONG environnementales ont dénoncé un "greenwashing institutionnalisé". Certains grands investisseurs institutionnels, notamment dans les pays nordiques, ont annoncé qu'ils excluraient de toute façon le gaz et le nucléaire de leurs portefeuilles durables, créant de fait une "taxonomie à deux vitesses". L'Autriche et le Luxembourg ont même porté l'affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne, contestant la légalité de l'acte délégué.
Au-delà des polémiques, les entreprises se heurtent à l'immense complexité de la mise en œuvre. La collecte des données nécessaires pour prouver l'alignement est un processus lourd et coûteux, en particulier pour les PME. De nombreuses zones grises subsistent, et le manque d'experts qualifiés pour auditer ces nouvelles déclarations est un véritable goulot d'étranglement.
Conclusion La taxonomie européenne reste une initiative pionnière et indispensable dans la lutte contre le changement climatique. Elle a forcé le monde de la finance à intégrer la durabilité au cœur de ses décisions. Cependant, les compromis politiques sur le gaz et le nucléaire ont entaché sa pureté scientifique et créé une confusion qui pourrait nuire à son adoption à l'échelle mondiale. Pour que l'outil tienne toutes ses promesses, l'UE devra clarifier ses ambiguïtés et résister à la tentation de sacrifier la science sur l'autel des intérêts nationaux à court terme.









