










Lisbonne, 2025. Le fleuve Tage, qui prend sa source en Espagne pour se jeter dans l'Atlantique à Lisbonne, a toujours été un lien entre les deux nations ibériques. Aujourd'hui, il est devenu une source de discorde. Confrontées à une cinquième année de sécheresse quasi ininterrompue et à des vagues de chaleur de plus en plus intenses, l'Espagne et le Portugal sont au bord d'une crise diplomatique sur la gestion de leurs ressources hydriques partagées. La "guerre de l'eau", autrefois une formule de politologue, est devenue une réalité tangible qui met à l'épreuve la solidarité européenne face à l'urgence climatique.
Le partage des eaux des fleuves transfrontaliers (Douro, Guadiana et Tage) est régi depuis 1998 par la Convention d'Albufeira. Cet accord fixe des débits minimaux que l'Espagne doit garantir au Portugal à la frontière. Cependant, face à une situation hydrologique sans précédent, l'Espagne peine de plus en plus à respecter ses engagements.
En amont, les vastes plaines agricoles d'Estrémadure et de Castille-La Manche dépendent massivement de l'eau du Tage pour l'irrigation, notamment pour des cultures très gourmandes en eau comme le maïs ou les oliveraies intensives. Les agriculteurs espagnols, eux-mêmes étranglés par la sécheresse, exercent une pression immense sur leur gouvernement pour réduire les débits envoyés au voisin portugais. "Nos réservoirs sont à des niveaux critiques. C'est une question de survie pour nos exploitations", déclare un représentant du syndicat agricole ASAJA.
Pour le Portugal, la réduction du débit du Tage (Tejo en portugais) est une catastrophe. Elle menace non seulement l'approvisionnement en eau potable de la région de Lisbonne, mais aussi la production d'hydroélectricité, vitale pour le mix énergétique du pays, et la survie des écosystèmes fragiles de l'estuaire du Tage. Le gouvernement portugais accuse Madrid de gestion "égoïste et unilatérale" et a menacé de porter l'affaire devant la Cour de justice de l'Union européenne pour non-respect des traités et de la directive-cadre sur l'eau.
Face à l'escalade, la diplomatie s'active en coulisses, avec la médiation de la Commission européenne. Plusieurs pistes sont sur la table, mais toutes sont complexes et coûteuses. Des discussions sont en cours pour réviser la convention d'Albufeira afin de la rendre plus flexible et adaptée à la réalité du changement climatique, en introduisant des clauses de sécheresse exceptionnelle.
Sur le plan technique, des investissements massifs sont nécessaires des deux côtés de la frontière : modernisation des systèmes d'irrigation pour réduire les pertes, développement du traitement et de la réutilisation des eaux usées, et construction de nouvelles usines de dessalement sur les côtes. Mais ces projets prennent du temps et leur financement est un sujet de discorde.
Conclusion Le conflit sur le Tage est un microcosme des défis qui attendent l'Europe dans un climat qui se réchauffe. Il montre que le changement climatique n'est plus seulement une question environnementale, mais un enjeu de sécurité nationale et de relations internationales, y compris au sein de l'UE. La capacité de l'Espagne et du Portugal à trouver un accord équitable et durable pour le partage d'une ressource de plus en plus rare sera un test crucial de la résilience et de la solidarité du projet européen. L'eau, source de vie, ne doit pas devenir une source de division sur le continent.