










Tirana, 2025. Vingt-deux ans après le sommet de Thessalonique où l'Union européenne promettait un avenir commun aux Balkans occidentaux, le sentiment qui domine dans la région n'est plus l'espoir, mais une profonde lassitude. Pour des pays comme l'Albanie, la Macédoine du Nord ou la Serbie, la perspective d'une adhésion pleine et entière ressemble de plus en plus à un mirage. Le processus, englué dans des blocages politiques, des réformes sans fin et un manque d'appétit de la part de certains États membres, est au point mort. Cette "fatigue de l'élargissement", des deux côtés, crée un vide dangereux que d'autres acteurs mondiaux s'empressent de combler.
Sur le papier, les négociations se poursuivent. Des chapitres sont "ouverts", des rapports de la Commission sont publiés, et les dirigeants réaffirment périodiquement leur "perspective européenne". Mais dans la réalité, les progrès sont quasi nuls.
Chaque étape du processus est à la merci de blocages politiques qui n'ont souvent rien à voir avec les critères d'adhésion. La Bulgarie a longtemps bloqué la Macédoine du Nord sur des questions historiques et linguistiques. La Serbie voit son chemin entravé par la question non résolue de ses relations avec le Kosovo, exigence sur laquelle cinq États membres de l'UE ne sont eux-mêmes pas alignés. Ces obstacles bilatéraux, utilisés comme leviers de pression, ont discrédité l'idée d'un processus basé sur le mérite. "On nous demande de réformer notre justice et notre économie, ce que nous faisons, puis tout est bloqué à cause d'un différend sur un monastère du 14ème siècle", se lamente, non sans cynisme, un fonctionnaire albanais.
Cette attente interminable a des conséquences profondes sur les sociétés des Balkans. La jeunesse, diplômée et souvent polyglotte, n'attend plus l'adhésion : elle part. L'exode des talents vers l'Allemagne, l'Autriche ou la Scandinavie s'accélère, privant ces pays de leurs forces vives et compromettant leur développement futur.
Le vide laissé par une UE hésitante est activement exploité par d'autres puissances. La Chine finance des infrastructures majeures (autoroutes, ponts) via ses "Nouvelles routes de la soie", créant une dépendance économique et une dette considérables. La Russie maintient son influence historique, notamment en Serbie, via des leviers énergétiques et une rhétorique panslave. La Turquie investit massivement en Albanie, en Bosnie et au Kosovo, renforçant ses liens culturels et religieux. Ces acteurs n'imposent pas de conditions sur l'état de droit ou la démocratie, ce qui séduit certains dirigeants locaux peu enclins à la réforme.
Conclusion L'Union européenne est face à un choix stratégique majeur dans les Balkans occidentaux. Continuer avec le processus actuel, lent et bureaucratique, risque de perdre définitivement la région, la laissant dériver vers l'instabilité ou sous l'influence de puissances rivales. Une nouvelle approche, peut-être via une intégration progressive au marché unique ou des bénéfices plus concrets et rapides, est indispensable pour raviver la flamme européenne. Sans un geste politique fort de la part de Bruxelles, la promesse de 2003 restera lettre morte, un échec géopolitique majeur aux portes mêmes de l'Union.